N'est-ce pas la vraie vision du photographe, d'être ailleurs, d'être au-delà de son propre corps, d'être à travers le viseur de son appareil photo, d'être dans cet univers virtuel à prises de réalités qu'est la photographie. Bien sûr, le ou la photographe est un être profondément narcissique qui s'observe à travers le regard qu'il pose sur les autres qu'ils soient choses, humains, animaux ou végétaux. Même quand il ou elle partage ce regard, ce n'est pas vraiment un acte gratuit dans sa recherche avouée ou non d'interactions, la récompense suprême de l'auteur-photographe.
S'il ou elle se dit artiste, le complexe d'infériorité du photographe vis-à-vis les arts plus nobles n'est jamais trop loin car tout le monde aime se proclamer photographe ou en capacité de l'être. C'est pourquoi nous sommes inondées d'images éphémères issues du consumérisme iconographique. Y-a-t-il vraiment un art de l'émotion dans la réalisation d'un dessin photométrique couché sur un support de deux dimensions? La vérité, pas pour tous, car la sensibilité, la réceptivité, de nos images n'est certainement pas universelle. C'est là qu'on constate la grande vanité de plusieurs soi-disant "professionnels" de la photo qui prétendent détenir la recette magique de la reconnaissance planétaire de leurs œuvres.
Mais, à la fin, il y a tout de même un public, un spectateur, pour lequel ou laquelle, nos images ont une forme d'impact émotif complexe souvent imprévisible dans son occurrence et de sa profondeur. Est-ce qu'on veut montrer quelque chose ou plutôt est-ce qu'on désire "se montrer" de quelque chose? Car il y a aussi cette quête forcément très personnelle dont la photographie demeure le dernier épiphénomène visible, du moins le croit-on comme tel. Car il faut croire également à la pertinence de notre photographie ne fut-ce que pour la produire et pour finalement la projeter, la transmettre.
Je ne suis pas un "grand" photographe, bien que j'aurais longtemps rêvé le devenir. J'ai même, et aujourd'hui encore, été l'exemple typique de l'individu aux prises avec le syndrome de l'imposteur en cette matière et en d'autres également. Cependant le "miracle" de l'enregistrement et de la reproduction de l'image m'a toujours fasciné dès mon enfance. Car je suis un rêveur impénitent depuis toujours. Et je rêve en images beaucoup plus qu'en sons. Et qu'est-ce que la photographie sinon la prolongation du rêve?
Je ne suis pas un grand photographe parce qu'aussi, la vie s'est déroulé à côté de moi sans que j'embarque vraiment de façon définitive dans ce train comme dans plusieurs autres avec lesquels vous franchissez une limite définitive dans votre vie sans espoir de retour. Si vous acceptez ce risque, c'est que vous acceptez de devenir quelqu'un de différent et de laisser en arrière quelqu'un qui n'est plus. Non, je n'ai jamais vraiment osé ce plongeon tout comme je n'ai jamais appris à me lancer dans l'onde et apprendre à nager. Je devais être d'une autre eau!
Il y a tout de même une expérience personnelle du photographe que je peux partager même en ayant vécu en périphérie d'une vocation totale et totalitaire dudit professionnel de l'imagerie fixe. Est-ce de la persistance, est-ce de l'obstination, est-ce de l'aveuglement? Et pourtant il y a eu ce parcours chaotique d'une vie à essayer et à s'essayer d'être photographe. Et ensuite la production de tous ces corpus iconographiques dont il ne subsiste presque rien sinon un commun néant de l'oubli ou encore du souvenir accommodant. Car la mémoire humaine embellit ou non notre petit cheminement de vie pour lui donner un signifiant rassurant ou encore, son inverse.
Parce qu'en fin de compte, il y a toujours cette passion des choses qui nous habite, qui nous hante parfois mais qui nous inspire toujours. C'est aussi cette passion pour la photographie "traditionnelle", qu'elle soit analogique ou numérique, qui a constitué le fil conducteur d'une grande partie de mon cheminement de vie. J'ai vécu par, pour, au travers et envers, le monde de la photo et aujourd'hui encore je demeure son esclave, son adepte et son disciple.
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